Lettre ouverte au Dr. Enid Stiles, président de l'ACMV

06/08/2020

DR ENID STILES
PRÉSIDENT
ASSOCIATION CANADIENNE DES MÉDECINS VÉTÉRINAIRES
339, RUE BOOTH
OTTAWA (ONTARIO)
K1R 7K1

 

Dr Stiles,

C’est avec grand étonnement que l’Union des éleveurs canins du Québec («UECQ») a pris connaissance du communiqué émis par l’Association canadienne des médecins vétérinaires («ACMV»)  du 29 juillet dernier. À cet effet, les membres de l’UECQ sont non seulement surpris par la teneur dudit communiqué mais sont également d’avis que ce dernier constitue un amalgame dangereux entre le drame du vol de la Ukrainian International Airlines («UIA») du 13 juin 2020 et les problématiques de santé que peuvent développer les chiens brachycéphales. En conséquence, il apparaît pertinent de rappeler certains faits et de corriger certaines assertions.

Tout d’abord, il convient de rappeler qu’il y avait plus de 500 chiens sur le vol de la UIA, mais que seule une portion d’entre eux étaient des chiens brachycéphales. Par ailleurs, il est erroné de laisser sous-entendre, comme le fait le communiqué de l’ACMV, que les 38 chiens qui sont décédés étaient tous des chiens brachycéphales et que c’est cet état qui est à l’origine de leur mort. En fait, les véritables raisons de la mort de ces chiens relèvent davantage du fait que ces chiens ont été transportés à plusieurs dans une seule cage, qu’ils ont passé plus de 14 heures en cargo sans avoir accès à de l’eau alors qu’il faisait plus de 30oC à l’extérieur et que certaines cages ont été recouvertes de papier cellophane empêchant ainsi tout changement d’air à l’intérieur de la cage. De plus, de nombreux chiens n’avaient pas été vaccinés, ce qui a fait en sorte que certains sont arrivés en sol canadien atteints du parvovirus. Dans de telles conditions de transport, peu importe la race et la forme du museau, les chances de survie des chiens étaient très limitées.

Ainsi, les chiens ne sont pas morts parce qu’ils étaient brachycéphales, mais plutôt en raison de la négligence d’un transporteur aérien et du fait que les autorités canadiennes aient permis l’importation massive de 500 chiots en un seul vol cargo. Que l’ACMV rejette la faute sur certaines races constitue une tentative opportuniste de susciter un sentiment anti-brachycéphale et nous apparaît non seulement injuste et injustifié, mais risque également de mener à de tristes conséquences pour le bien-être animal.

En effet, en mettant l’accent sur le fait que les chiots morts sur le vol de la UIA étaient des brachycéphales, l’ACMV détourne l’attention de la véritable source du problème : l’importation de masse de chiens de race et les conditions de reproduction et d’élevage des chiots nés à l’étranger. En fait, on est en droit de se demander comment il est possible que la compagnie aérienne ait permis que plus de 500 chiots soient transportés dans le même cargo, que l’Agence canadienne d’inspection des aliments («ACIA») permette toujours que des chiots soient transportés dans de telles conditions alors que ce n’est pas la première fois qu’il y a des décès en cours de vol et que les vétérinaires de l’ACIA n’aient pas réagi lorsqu’ils ont été avisé qu’un vol transportant plus de 500 chiots devait atterrir à Toronto et que seulement quatre vétérinaires ont été assignés pour inspecter une telle cargaison.

S’il est vrai que l’ACMV peut et doit mettre l’accent dur la nécessité d’assurer et de préserver la santé des chiens brachycéphales, le communiqué du 29 juillet n’est certainement pas le bon moyen pour y arriver. En effet, cette déclaration ne fait aucune distinction entre les éleveurs responsables, les éleveurs de fond de cour et les usines à chiots. Or, l’ensemble des éleveurs responsables de races brachycéphales que nous représentons sont soucieux de l’état de santé de leurs reproducteurs et de la qualité de leurs voies respiratoires. De plus, il est faux de prétendre que ceux-ci ne reproduisent que pour les « caractéristiques extrêmes » de la race ou pour avoir des museaux de plus en plus courts. En fait, bon nombre d’entre eux reproduisent conformément aux standards de race, lesquels sont établis, dans la grande majorité des cas, depuis plusieurs décennies. Aussi, la déclaration de l’ACMV impute injustement aux éleveurs responsables les problématiques de santé qui découlent d’un élevage non sélectif et qui sont contraires aux pratiques d’élevage de nos membres. 

Par ailleurs, il est démontré que le fait d’avoir un museau plus long n’est pas garant d’une meilleure santé respiratoire. L’appel au boycottage par les annonceurs ne constitue pas une réponse adéquate à la problématique de l’importation de masse. La volonté manifestée de sélectionner des animaux pour que le museau atteigne la longueur d’une demi-tête ne l’est pas davantage. En effet, nous nous questionnons sur l’opportunité de cette proposition : le museau du chien brachycéphale représente actuellement un sixième de la longueur de la tête. L’exigence du club d’enregistrement néerlandais Raad Van Beher, laquelle est très fortement contestée par la communauté des cynophiles et des éleveurs, est de ramener la proportion du museau à un tiers de la longueur de la tête. Or, la proposition de l’ACMV, laquelle est faite sans assises précises, dépasse largement ce qui est exigé du club d’enregistrement néerlandais et mènerait pratiquement, si elle devait être mise en application, à l’extinction des races brachycéphales au Canada puisqu’il est génétiquement impossible de faire passer la longueur du museau d’un chien d’un sixième de la longueur de la tête à une demi-tête. Une telle situation n’aurait pas comme conséquence de décourager les éventuels propriétaires de faire l’acquisition d’un chiot brachycéphale, mais inciterait davantage ceux-ci à faire l’achat d’un tel chiot auprès d’un courtier, contribuant ainsi au maintien des activités d’importation de masse.

En conséquence, je me permettrais de suggérer à l’ACMV non pas de faire un appel général au boycottage des races brachycéphales, mais plutôt de collaborer avec les éleveurs responsables afin de maintenir et de contribuer à la reproduction de chiens brachycéphales en santé. Aussi, j’invite l’ACMV à contribuer et à participer davantage à la formation des médecins vétérinaires sur le dépistage du Syndrome obstructif des voies respiratoires (connu sous l’acronyme «BOAS») afin de mieux épauler nos éleveurs dans la sélection de leurs reproducteurs.

Très cordialement,

 


SERGE BOUDRIAS
Président de l’Union des éleveurs canins du Québec
Éleveur de Chins